Fiche n° 1989 de la FNAM – Indemnisation des militaires victimes d’un accident de service ou d’une maladie : « Les BRUGNOT »

Dernière mise à jour le 03/10/2018 à 10:32

“Jura vigilantibus, tarde venientibus ossa”

« Aux vigilants les droits, aux retardataires les os »

1. Origine du droit

Durant plus d’un siècle (décision Paillotin du 12 janvier 1906), en cas de blessure ou de maladie imputable au service, le Conseil d’État s’est toujours opposé à toute indemnisation complémentaire des préjudices subis par les fonctionnaires civils de l’État et les militaires, en sus de la rente ou de la pension militaire d’invalidité servie aux victimes.

Cette règle, dite du « forfait de pension » a subi une première entorse au bénéfice des appelés du contingent par la loi n° 83-605 du 9 juillet 1983 (article L.62 du Code du Service National) qui prévoit pour les intéressés une réparation intégrale des préjudices selon les règles applicables en droit commun.

Une nouvelle entorse à celle règle a été introduite par la décision du Conseil d’État n° 214065 du1er décembre 2000 (Castanet) au profit d’un militaire victime d’une infection nosocomiale contractée lors d’une hospitalisation dans un hôpital militaire.

Par une décision d’Assemblée en date du 4 juillet 2003 (n° 211106, Madame Moya-Caville), le Conseil d’État a redéfini ou, si l’on préfère, renversé le champ d’application de l’ancienne théorie du forfait de pension pour les fonctionnaires civils de l’État.

Dans le prolongement de cette décision, l’abandon de la règle du forfait de pension s’imposait logiquement au profit des militaires et leurs éventuels ayants cause (1) pour leur préjudice moral(conjoint et parents, notamment).

Ainsi, aux termes de deux décisions importantes (n° 258208 du 1er juillet 2005, Brugnot, et n° 337851 du 07.10.2013, Hamblin), le Conseil d’État a posé les règles suivantes pour l’indemnisation des préjudices personnels (ou extrapatrimoniaux) subis par les militaires en cas de décès, blessures reçues ou maladies contractées en service.

  • En premier lieu : aux termes des décisions précitées, ledit Conseil d’État a précisé qu’eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions fixées au Code des PMI-VG et aux divers éléments entrant dans la composition et la détermination du montant de la pension d’invalidité, ce que celle-ci a pour objet de réparer :

· les pertes de revenus et l’incidence professionnelle résultant de l’incapacité physique ;

· le déficit fonctionnel entendu comme l’ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelle ;

· lorsque la pension est assortie de la majoration prévue à l’article L 133-1 du Code des PMI-VG (ex article L.18) la prise en charge des frais afférents à l’assistance par une tierce personne.

  • En second lieu : le Conseil d’État a exclu de la réparation forfaitaire, c’est-à-dire de la pension militaire d’invalidité, et décidé de faire prendre par l’État l’indemnisation des préjudices suivants :

· les souffrances éprouvées avant la consolidation ;

· le préjudice esthétique ;

· le préjudice sexuel (dispositif de la décision Hamblin) ;

· le préjudice d’agrément lié à l’impossibilité de continuer à pratiquer une activité sportive ou de loisirs ;

· le préjudice d’établissement lié à l’impossibilité de fonder une famille.

  • Pour l’instant nous en sommes là, mais un nouvel élargissement de ces préjudices personnels n’est peut-être pas à exclure dans l’avenir.

Ces cinq chefs de préjudices sont communément appelés par l’administration des Armées et les militaires eux-mêmes « les Brugnot », bien que cette appellation soit un peu réductrice, notamment depuis l’arrêt Hamblin (précité) qui a élargi d’une manière importante le périmètre des préjudices personnels indemnisables retenus par le Conseil d’État.

Par ailleurs, aux termes de sa décision Hamblin, le Conseil d’État a précisé que si le titulaire d’une pension a subi du fait de l’infirmité imputable au service d’autres préjudices que ceux que la pension a pour objet de réparer (préjudices particuliers ou exceptionnels), il peut, dans ce cas, prétendre à une indemnité complémentaire égale aux montants de ces préjudices.

À cet effet, le juge éventuellement saisi peut recourir à la nomenclature de valeur indicative dite : « Dintilhac », du nom du Président du groupe de travail, ancien Président de la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation, qui a élaboré un outil de référence en matière d’indemnisation des préjudices corporels.

Enfin, dans la mesure où le dommage engage la responsabilité de l’État à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l’exercice des fonctions, par exemple : les soins défectueux dispensés dans un hôpital militaire, la défectuosité d’un édifice ou d’un ouvrage, le défaut d’entretien d’un matériel, etc., la victime peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, s’il celle-ci n’en assure pas une réparation intégrale.

En résumé : une faute caractérisée imputable à l’État est susceptible d’ouvrir droit à la réparation intégrale des préjudices.

2. Procédure amiable d’indemnisation mise en place par les Armées

Afin notamment d’éviter pour les victimes et leurs éventuels ayants cause (préjudice moral pources derniers) une procédure longue, coûteuse (frais d’avocat, d’expertises, etc.), à l’issue souvent aléatoire devant les juridictions administratives seules compétentes dans ces affaires (après demande d’indemnisation adressée au ministère des Armées et, le cas échéant, introduction d’un Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO) avant saisine du juge), le ministère de la Défense, devenu récemment ministère des Armées, a mis en place depuis de plusieurs années une procédure amiable d’indemnisation des préjudices personnels subis par les militaires et leurs ayants cause.

Cette procédure interne au ministère des Armées « s’inspire » de la circulaire du Premier ministre du06 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits ou les prévenir (Cf : Claire Landais, Directrice des affaires juridiques du ministère de la Défense, in : revue française d’administration publique (ENA), n° 147 de 2013).

Afin de mieux informer les militaires sur cette possibilité de règlement amiable, tout dernièrement, le ministère des Armées a mis en ligne sur son site dédié des informations précises, indiquant aux militaires concernés ainsi qu’à leurs ayants cause, les modalités de présentation de leurs éventuelles demandes d’indemnisation au titre des préjudices évoqués :https://www.defense.gouv.fr/blesses/mesdemarches/indemnisation-complementaire-des-militaires-tues-ou-blesses-a-l-occasion-du-service.

Après expertise médicale effectuée par un médecin militaire désigné par le Service de Santé des Armées, le Service Local du Contentieux (SLC) chargé de l’instruction de la demande indemnitaire, établit un protocole transactionnel d’indemnisation qui est adressé à la victime et/ou, le cas échéant à ses ayants cause. Ce protocole qui peut être discuté, y compris jusque devant la Commission de Recours des Militaires (sauf pour les ayants cause), a le caractère d’un contrat privé, donc confidentielsouscrit entre les parties.

3. Points importants à retenir

Le fondement de l’indemnisation des préjudices personnels est indépendant de l’indemnisation prévue dans le cadre d’une pension militaire d’invalidité.

La Pension Militaire d’Invalidité relève de la Loi (Code des PMI-VG), et la réparation des préjudices personnels d’une construction jurisprudentielle. Il en résulte que les deux dispositifs sont autonomes et l’indemnisation des préjudices personnels ne présente pas un caractère strictement automatique.

Conformément à une jurisprudence constante, la consolidation est le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent, ce qui, selon les cas, est variable.

Le médecin traitant peut proposer une date de consolidation pour ouvrir la procédure amiable d’indemnisation, mais, en droit, la date de consolidation relève de la seule compétence du médecin expert désigné par l’administration.

Conformément à la Loi 69-1250 du 31.12.1968 et de la jurisprudence qui en précise ou en éclaire l’application (sauf exceptions) la victime ne peut solliciter l’indemnisation de ses dommages corporels personnels que dans un délai de quatre ans, lequel prend effet le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liés au dommage ont été consolidées.

Les ayants cause des militaires décédés doivent solliciter l’indemnisation de leur préjudice moral, dans un délai également de quatre ans courant du jour du décès, dans le cas où l’administration n’en a pris directement l’initiative, ce qui est pratiquement toujours le cas.

A ses frais, comme dans le cadre une demande de pension militaire d’invalidité, le demandeur peutse faire accompagner d’un médecin conseil spécialiste en réparation des préjudices corporels lors del’expertise mise en œuvre par l’administration, ce qui permet le respect du principe dit du« contradictoire ». Ce n’est pas une obligation, mais lorsque les préjudices sont importants,cette assistance est recommandée.

Rappel : la transaction est juridiquement un acte par lequel on transige, ce qui, le cas échéant, implique une discussion, voire des concessions réciproques entre les parties.

 

CONCLUSION

 

  • Du seul point de vue de notre Fédération, la procédure amiable et gratuite mise en place par les Armées sous le contrôle de la Direction de Affaires Juridiques du ministère des Armées (DAJ), doit être privilégiée par les victimes et leurs éventuels ayants cause.
  • Selon l’adage : « mieux vaut transiger que plaider ».
  •  Toutefois, à leurs frais, les victimes et leurs éventuels ayants cause demeurent naturellement libres de faire valoir leurs droits d’une manière classique, après, le cas échéant, consultation d’un avocat spécialiste en réparation des préjudices corporels, le droit en la matière étant particulièrement complexe.
  •  Enfin, toujours du point de vue de notre Fédération, la procédure amiable évoquée a le caractère d’un« contrat de confiance » entre les militaires et le ministère des Armées, lequel, par sa connaissance du droit applicable en la matière se trouve naturellement en position dominante, voire ultra dominante vis-à-vis des victimes.
  •  Il en découle une obligation morale pour le ministère des Armées de veiller avec une particulière attention à ce que l’offre d’indemnisation faite aux victimes et leurs éventuels ayants cause soit établie par référence avec la jurisprudence administrative la plus récente en la matière.
  •  Avant de signer une offre transactionnelle d’indemnisation, à leurs frais, la victime et ses éventuels ayants cause demeurent naturellement libres de rechercher l’avis d’un Conseil autorisé de leur choix. Seuls les avocats sont autorisés à fournir des prestations de conseil.
 

La commission des droits de notre Fédération reste naturellement à la disposition
de ses groupements pour toute explication complémentaire sur l’indemnisation
des préjudices évoqués et des difficultés éventuellement rencontrées par ses
adhérents pour faire valoir leurs droits.

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